Mingming au rhythme de la houle
remporte le Prix Albatros 2015
Avec les membres du jury et mes
traducteurs Marie-Odile Ottenwaelter (a droite) et Eric Andlauer (derriere) au Nautic de Paris pour la remise du prix
Mingming et l'Art de la Navigation
Minimaliste remporte le Prix Henri-Queffélec 2013
Le Président d'honneur du jury,
Hervé Jaouen, me présente Le Prix Henri-Queffélec, à Concarneau,
vendredi le 19 avril 2013
Discussion intense avec Françoise
Bercovici au salon Livre et Mer
Je remercie très chaleureusement Françoise Bercovici, de Concarneau,
pour cette analyse pénétrante et perceptive du livre :
Paradoxe et Oxymore dans un récit de
voyageur
Le navigateur Roger Taylor
nous offre dans Mingming et l'Art de la Navigation Minimaliste
un récit de voyage, dans la plus pure tradition du genre. S'agit- il
cependant d'une pérégrination solitaire ? Le narrateur et le bateau,
élevé à la condition d'être animé, prennent ensemble la mer et vivent
une véritable histoire d'amour sur les flots calmes ou déchaînés. Le «
je » laisse vite la place au « nous », englobant le marin et son
esquif, dans ce récit d'aventures.
Notre marin voue à son «
petit
navire » (1) une véritable passion, le traite à l'égal d'un être
humain, le bichonne, le dorlote, se montre attentif à ses besoins. Que
de tendresse dans l'expression récurrente : « petit Mingming » qui
désigne, sous la plume de l'auteur, le navire gréé en jonque qui
l'accompagne dans son aventure maritime et humaine !
Fusionnels et
indissociables, ils se livrent aux
déchaînements des flots. En effet, c'est une folle aventure ; seul en
mer d'Islande, sans moteur ni relation avec des sauveteurs potentiels,
par choix, et par ascèse, choisir de naviguer de la manière la plus
rudimentaire qui soit, « le ciel, la mer, un bateau, un homme. », d'une
manière totalement opposée à celle des navigateurs modernes prisonniers
des technologies avancées constitue une exubérance qui frôle
l'aberration à nos yeux de terriens. Il arrive que le bateau soit
imperceptible sur la mer, invisible même aux yeux des passagers de
navires de croisière qui prennent leur petit déjeuner à bord !
Roger Taylor nous livre ici
sa philosophie de
l'existence, et le choix qu'il a fait d'une sagesse toute orientale en
opposition à nos comportements d'occidentaux confiants dans la
technique, « omniscients et naïfs », pour reprendre une formule d'Aimé
Césaire, qui prennent la mer avec violence, bardés d'instruments
sophistiqués et de mâts prêts à se rompre- la mer ne se laisse pas
ainsi violenter !- Tandis que le vrai marin, le vrai sage, se confie
aux vagues et aux vents, « plus léger qu'un bouchon », il danse sur les
flots, à l'instar du bateau ivre de Rimbaud, en quête d'aventure
humaine et spirituelle. Sage folie, folle sagesse ! Pour nous, terriens
et profanes, cette aventure au demeurant paraît déraisonnable, et nous
fourbissons nos arguments : eh, quoi ? Partir ainsi sur la mer, là-bas,
en mer d'Islande, qui a vu périr tant de nos marins, dans le chaos de
glaces où erra jadis le vieux marinier de Coleridge, et qui plus est
partir sans moteur ni assistance, tout au bonheur d'être invisible aux
yeux des hommes, là où la VHF est inopérante ? Quelle inconscience ! Et
s'il tombait malade ! Et s'il passait par- dessus bord ! Et si une
quelconque crise d'appendicite le terrassait ! Et sa famille !...
Et si c'était sagesse ? Une
folle sagesse,
d'entreprendre une aventure qui mène au bout du monde et au bout de
soi- même, au dépouillement de tout, et l'espace au fond du trou
d'homme où le marin se tient devient chaque jour un peu plus vaste,
comme si les parois qui l'enserrent s'écartaient à mesure que se
poursuit le voyage, aux confins du monde. Nous le pensons prisonnier de
sa cellule, au fond utérin de son Nautilus, quand il est « au monde »,
en pleine conscience de l'essentiel, LIBRE !
Rassurons nos âmes inquiètes
: le voyage est
soigneusement préparé, durant les longs mois d'hiver ; Roger étudie les
cartes (celles d'autrefois, tellement plus belles !) Au cœur de
l'hiver, il prépare le navire et se livre à des travaux d'amélioration
qui le projettent dans l'avenir, un avenir rêvé, car le rêve fait aussi
partie de l'aventure.
Notre rêveur n'en est pas moins un bricoleur de génie, capable de tirer
le maximum de matériaux modestes, de la toile à draps, quelques chutes
de moquette, de vieilles rames de récupération, qui, une fois sciées,
polies, restaurées, seront élevées à une nouvelle dignité.
Le voyage requiert une haute technicité, une habileté manuelle
exceptionnelle…et une boîte à outils !
Pour notre plus grand
bonheur, le texte renferme un
lexique technique très riche, source de connaissance et de poésie, une
poésie qu'on retrouve dans l'évocation des zones maritimes désignées
par les bulletins de la météo marine, « Thames, Humber… », zones
mystérieuses où se jouent des drames terribles, quand les vagues se
muent en tempêtes si fortes qu'on ne peut que se confier au bateau.
Fort heureusement, le
navigateur solitaire n'est
dénué ni d'humour ni de flegme. Confronté aux pires dangers, il se rit
de lui-même, l'équipier paresseux, qui répugne à accomplir les tâches
rudes à l'extérieur et que le « capitaine Achab », son double , le
compagnon imaginaire de son Odyssée contemporaine, venu tout droit de
chez Melville (Moby Dick), morigène quand il rechigne à l'effort.
Il est vrai que sortir du
cocon du navire pour
réparer quelque instrument n'est pas une sinécure, même si l'on
maîtrise l'art du « rentré breveté Mingming », qui consiste à se vêtir
sans laisser passer le moindre vent coulis dont la caresse vous
refroidit sans pitié la base du dos. Beaucoup d'humour encore, dans la
description des animaux, la vision anthropomorphique de ceux qui
croisent la route du navire, orques, fulmars, méduses, l'évocation des
douleurs du genou, l'outrecuidance du navigateur qui s'enorgueillit
d'avoir découvert sur la route des Açores un spécimen de baleine jaune
inconnue jusqu'à ce jour, se précipite à fond de navire pour vérifier
qu'il en est bien l'inventeur, plastronnant dans son for intérieur, et
qui découvre, en effet, que Cuvier, ce Français, ce maudit Français,
l'avait découverte avant lui !
Humour tout british encore,
dans la distanciation
entre la gravité de la situation : une aventure hors- norme, et la
manière légère dont cette aventure est abordée. Des glaciers menaçants
deviennent « des petits mecs » à qui il va falloir se mesurer dans
l'arène du cercle polaire !
Il arrive pourtant que le
navigateur s'irrite,
quand, empêché d'entrer au port, retenu par le gros temps à proximité
de la côte, lieu de tous les dangers, il fait des ronds dans l'eau,
comme ce fut le cas lors du deuxième voyage au Nord, sans avancer d'un
pouce, jouet des flots, et comme le vieux marin de Coleridge, ressent
la soif devant l'immense étendue d'eau : “ Water, water everywhere, nor
any drop to drink! “
Dans ces moments- là, si
près du port, comme aux
Açores, si près du rivage, qu'il croit sentir le parfum de la bière
versée dans les chopes des bars à marins, encalminé à quelques
encablures d'un Eden inaccessible, où il pourrait enfin se doucher, se
restaurer, approcher ses frères humains, si seulement le vent se
mettait à souffler, apparaît l'expression d'une relation ambigüe à la
mer, un mélange d'adoration et de détestation, qui naît aussi au terme
du voyage, le poussant à haïr les fulmars autant que les vagues: une
relation passionnée et passionnelle, toujours pleine d'humour, même
quand il vitupère contre « les saloperies de vagues » qui se muent en
boutoirs sur les flancs du bateau.
Mais les reproches adressés
aux vents et aux vagues
sont de courte durée, laissant place le plus souvent à un hymne à la
vie sauvage, puissante, parfois effrayante, et qui nous interroge sur
nous -mêmes et sur notre relation au vivant.
Ce sont des globicéphales
qui parfois accompagnent
le navire, chantant à l'instar des sirènes qui dansèrent autour de la
nef d'Ulysse, mais contrairement à « l' homme aux mille tours », notre
capitaine courageux ne s'attache pas au mât, trop heureux que les
animaux marins et les éléments, entrant en résonance avec les parois de
son cher navire, lui fassent entendre la musique des sphères, et le
musicien qu'il est en éprouve une communion mystique avec la nature,
dans laquelle il déchiffre le chant du monde.
Il s'agit bien dans cette
aventure d'une expérience
mystique d'ouverture au monde, au cours de laquelle le narrateur
éprouve le sentiment d'appartenance au cosmos, habité par des animaux
dangereux et fascinants, orques effrayantes, baleines au souffle
puissant dont la queue se dresse sur l'eau avant qu'elles ne plongent
dans l'abîme , et qui entretiennent des liens avec l'homme, issues des
mêmes origines lointaines dans le ventre des océans, et des éléments
qui, parfois déchaînés, savent se muer en spectacles grandioses « de
sucre filé », « d'énormes pierres précieuses », de « falaises d'ébonite
devant de l'or liquide chauffé à blanc ».
Quelle beauté dans ces
évocations du monde, dans ces
paysages aux « tonalités de l'ardoise, celles « de Cumbria, du Pays de
Galles, de la Cornouaille et de Bretagne » !
Merci Monsieur Taylor, pour
le marin qui trouve dans
votre récit réponse à ses questions, concernant l'équipement du navire,
la meilleure route à tracer, la meilleure toile en guise de voilure,
l'avitaillement nécessaire à la pérégrination ; pour le géographe qui
suit le voyage sur les cartes consultées, pour l'écologiste en quête de
l'harmonie du monde, pour le musicien invité au concert des sphères,
pour le philosophe amant de la sagesse, qui découvre dans votre récit
la voie du bonheur et de la liberté ; car c'est là le plus beau de vos
paradoxes : plus on se dépouille, mieux on accepte d'être au monde,
moins on possède, (à condition d'avoir un bateau !), plus on est libre
et heureux.
« Homme libre, toujours tu
chériras la mer ! »
Ainsi parlait Baudelaire.
Ainsi vous nous parlez aujourd'hui.
Soyez heureux, Monsieur !
(1) Allusion à la chanson
française : « Il était un petit navire. »
Françoise BERCOVICI, à CONCARNEAU, le 21
avril 2013.
MINGMING
AU RYTHME DE LA HOULE
Ce pourrait être
un récit de voyage, le carnet de bord d’un marin audacieux, qui
conterait « le
traintrain répétitif des jours à venir »: - c’est lui- même, le
marin
solitaire, accoutumé aux voyages périlleux dans les eaux glaciales de
l’Arctique qui le dit-, un récit qui se résumerait à quelques
infinitifs,
quelques substantifs, et des
modalisateurs : « Hisser un panneau. Affaler deux panneaux.
Réduire
un peu. Renvoyer légèrement. Tendre cette estrope. Donner du mou à
cette
manœuvre. Choquer l’écoute. Border l’écoute… »
Mais le récit de
Roger Taylor, Mingming au rythme de la houle, soyez rassurés,
lecteurs
impatients et avides, c’est bien plus que le journal de bord d’un
amoureux fou
de la mer, c’est le récit d’une aventure extrême, qui conduit aux
confins du
monde habité la paire de vieux compagnons- L’homme et le bateau-, dont
les
tribulations nous sont familières depuis la parution de l’ouvrage Mingming
et l’art de la navigation minimaliste qui a valu à son auteur le
prix Henri
Queffelec au festival Livre et Mer de Concarneau en 2013.
Roger Taylor
nous avait habitués à sa vision anthropomorphique de son « petit
Mingming », un voilier minuscule, objet de tous ses soins et de
tout son
amour, Nautilus qu’il bichonne astucieusement pour trouver dans son
ventre tout
le confort souhaité (spartiate cependant, le confort) et aussi la
sécurité
nécessaire pour accomplir des exploits dont nous, les terriens, tendons
à
considérer qu’ils sont marqués au sceau de la folie.
« Pourquoi
prendre la mer ? » Et la défier en solitaire, loin des ports
paradisiaques dotés de tous les équipements du monde
contemporain :
restaurants et quais où s’amarrent de glorieux navires ?
Aux yeux de
Roger Taylor, c’est la terre qui constitue une anomalie. Bien plus
vaste, le
domaine des océans, toujours en mouvement même quand
la surface des eaux paraît calme, la mer, animée
d’un souffle vital inextinguible, d’une respiration puissante qui
inspire au
marin le sentiment de l’infini.
« Homme
libre, toujours tu chériras la mer », s’exclamait le poète,
A l’instar de
Baudelaire, le marin aventureux contemple son âme dans le mouvement
infini de
la vague, et partage dans ce récit de
voyage une expérience mystique.
De
quoi a-t-on besoin, perdu au milieu des flots ?
Eloignées,
les passions qui agitent les hommes, et tout ce pour quoi ils
travaillent : conquérir, posséder, construire, réussir…
« Un
homme, un bateau », et voici que surgit l’essentiel, la conscience
d’exister, le bonheur d’être au monde, la rencontre avec la baleine et
l’oiseau, la contemplation des courbes sinueuses du monde façonné par
les
siècles, la joie…
Une
joie d’être au monde qui se conquiert au prix d’une laborieuse
ascèse ;
rudes sont les travaux et les jours du marin solitaire, malgré les
victuailles
préparées avec tendresse par l’épouse restée au port ! Roger
Taylor fait
partager avec humour ses tribulations : la gestion économe des
bonbons-
récompense, le dosage savant des stocks de nourriture, les actes
chirurgicaux
accomplis dans l’urgence, quand une dent se rebelle ou qu’un craquement
de
mauvais augure signale une côte cassée.
Humour
et flegme. L’aventure, ce sont aussi des chaussettes mouillées, des
allumettes
qui refusent de s’enflammer : dure vie que la vie de marin !
Conscience
du monde, humilité, et encore, capacité à penser le monde ; ce
voyage en
effet mène à une prise de conscience de ses évolutions. Le constat
écologique
est inquiétant.
La
mer est vaste, mais la vie s’en absente ; de nombreuses espèces
sont en
danger, les terriens veulent « moissonner la biomasse »,
selon la
métaphore consacrée ; comprendre : notre stupidité va nous
conduire à
tuer notre mère. Car la mer est source de toute vie.
Puissions-
nous entendre le message, retrouver le chemin de l’innocence perdue
mise à mal
par notre outrecuidance, qui conduit au développement tumoral de
comportements
aberrants : violences de toutes sortes, primauté d’une économie
toute-
puissante, désordres révélateurs d’une perversion de la raison.
Le
voyageur n’est guère optimiste, bien qu’il ait su garder son humour et
la joie
d’être au monde.
Souhaitons-
lui bon vent, et comme le dit la chanson :
« Il
faut chanter puisque la mer est belle
Il
faut chanter puisque nous partirons. »
NB.
Les expressions entre guillemets, sauf indications contraires, sont
extraites
de l’ouvrage Mingming au rythme de la houle, de Roger Taylor
Françoise
Bercovici, Concarneau, 19 mai 2015
Back to top
All contents of this site ©
2007-2012 Roger D. Taylor. All rights reserved
|